Contribution de l'ABF, membre de la CNPL, sur l'avocat en entreprise. La ritournelle entêtante de l’avocat en entreprise et de l’avocat et l’entreprise. La question sensible de la place de l’avocat en entreprise est régulièrement évoquée et secoue la profession. Cette récurrence finit par échauffer les esprits et accroître un clivage qui existait dans la profession. L’ABF a, depuis que la question du statut de l’avocat en entreprise est examinée et votée, soutenu une position constante : ni intégration des juristes d’entreprise dans la profession ni création d’un statut d’avocat salarié, ces inventions contraires au statut de l’avocat libéral, indépendant, astreint à un secret professionnel exigeant, à une gestion du conflit d’intérêts sous l’égide de l’ordre et du bâtonnier (déontologie et discipline), cotisant aux caisses de la profession. Cette position n’a pas varié au fil du temps car ce sont ces valeurs auxquelles l’ABF est attaché qui font la force de la profession d’avocat et son ADN. Les tenants de la position contraire indiquent que nous ne connaissons pas l’entreprise, que nous ne répondons ni à ses besoins ni aux revendications des juristes des grandes entreprises qui auraient besoin d’un secret professionnel pour les négociations internationales. À ces affirmations péremptoires, l’ABF répond que nos confrères sont au quotidien auprès de leurs clients entrepreneurs et qu’il est donc faux de prétendre que les avocats ont une méconnaissance de leur clientèle professionnelle. Soutenir une telle thèse est dévalorisante pour ceux de nos confrères dont l’activité est celle-ci. Si la profession d’avocat peut toujours envisager d’améliorer l’accompagnement de ses clients en étant encore plus proche d’eux, elle n’a pas vocation à être la béquille d’autres professions qui viendraient faire leur marché chez les avocats. Accepter une telle solution n’est pas défendre la profession d’avocat. Ce n’est pas non plus défendre celle-ci que d’accepter un avocat dépendant, en lien de subordination à son employeur , ne dépendant du bâtonnier que pour l’interroger, dans le cadre d’une question préjudicielle sur la déontologie en cas de conflit avec son employeur, qui ne cotiserait a aucune caisse , et somme toute ne s’intéresserait à l’ordre que pour le cas échéant le vampiriser. Une telle solution n’est pas acceptable. C’est en tout cas ce que soutient l’ABF, syndicat indépendant, hors de de toute pression et n’étant pas soumis aux diktats de cercles ou d’associations. 2 Il n’est pas le seul à avoir cette vision de la profession d’avocat. Elle est partagée par une majorité de confrères. C’est d’ailleurs ce qui a conduit le conseil national des barreaux, de façon réitérée, à s’opposer à la création de l’un ou l’autre de ces statuts. Devant cette situation, les juristes d’entreprise ont alors entamé un lobbying pour revendiquer non pas un legal privilege mais l’attribution de tout ce qu’il venait rechercher chez nous: notre secret!!!. Il est permis de s’interroger d’ailleurs sur les motivations sous-jacentes de cette demande et les buts poursuivis. Ne serait-ce pas pour de mauvaises raisons ? En tout cas, notre secret en serait dévalorisé Cette revendication a contraint que le CNB à se saisir de la question qui agitait les pouvoirs publics et un groupe de travail a été créé composé des membres du CNB auquel les élus ABF ont assidûment participé pour examiner cette question. Cet examen a abouti un rapport et à un vote négatif de l’assemblée générale du CNB , estimant que l’octroi d’un legal privilege aurait pour conséquence ,à terme , de la création d’une nouvelle profession réglementée affaiblissant la profession d’avocat. On aurait pu croire le débat enfin définitivement clos mais les pouvoirs publics ont envisagé, sous l’instigation d’associations de juristes et même d’avocats, de revenir à la charge. C’est dans ces conditions qu’il a été demandé au groupe de travail de réfléchir sur une problématique différente : non pas la création un nouveau statut d’avocat, mais d’amplifier la présence de le l’avocat auprès de son client entrepreneur par un nouveau mode d’exercice En parallèle, une étude était menée par l’observatoire de la profession d’avocat pour mieux appréhender la perception que les chefs d’entreprise avaient de leurs conseils. Cette enquête a permis de constater que si les avocats étaient reconnus comme des professionnels compétents et avisés, leur faiblesse (tout relative quand on lit l’étude) était dans la connaissance des besoins l’entreprise, de la proximité avec elle et de la prévisibilité de son coût. Le groupe de travail, sur mandat de l’A G, a donc étudié la possibilité d’un nouveau mode d’exercice dans l’entreprise. C’est dans ces conditions que le rapport élaboré envisage la possibilité d’exercer en cabinet principal au sein d’une entreprise, ce qui nécessite une modification du RIN. Dans un premier temps, le groupe de travail a relevé que le risque de requalification de ce mode d’exercice en contrat de travail était très faible au regard des différentes .jurisprudences et textes. L’AG du CNB ayant également donné pour mission au groupe de travail de ne pas exclure les opinions dissidentes, deux rapports ont été établis: – Le premier destiné à être soumis à la concertation concerne les modifications de l’article 15 du RIN permettant d’avoir un cabinet unique au sein d’une entreprise. – Le second contient différentes questions qui ont fait l’objet d’un vote négatif de l’AG à l’exception du détachement en entreprise qui devrait faire l’objet d’une règlementation plus précise. En cet état, devons- nous accepter de modifier l’article 15 et autoriser l’ouverture d’un cabinet principal dans les locaux d’une entreprise ? Cela suppose d’avoir répondu à un certain nombre de questions préalables: Quelle est la définition de la notion d’entreprise? Celle-ci en réalité n’existe pas et est très fluctuante au travers des textes ou des études : public – privé ; commercial civil, social… et d’ailleurs le rapport soumis au vote ne donne aucune définition précise de l’entreprise dans laquelle le cabinet d’avocat serait hébergé (associations, associations de consommateurs, collectivité publique, groupement, société commerciale ou artisanale…..) Cette lacune constitue un écueil pour l’adoption du rapport. L’entreprise qui accueille le cabinet doit-elle être forcément un client du cabinet? On peut le penser mais rien ne vient l’indiquer ; ce pourrait être un apporteur d’affaires, un utilisateur des services de l’avocat via différentes conventions annexées à celle de domiciliation. La réponse à ces questions aura nécessairement une influence sur l’indépendance de l’avocat, sur les modes d’exercice, sur le maillage géographique. L’imprécision du rapport, sur ce point, constitue un obstacle supplémentaire à son adoption de même le fait que ne soient pas abordées, de façon claire, les conditions juridiques de l’hébergement et les dispositions prises pour que le secret professionnel soit respecté ou les conséquences de la rupture des relations avocat/client. A supposer levés ces écueils, il faut alors envisager la difficulté liée à la réception d’une clientèle diversifiée dans les locaux de l’entreprise, des modalités de la nécessaire gestion nécessaire des conflit d’intérêt et les modalités de contrôle des Ordres qui, en l’état apparaît bien difficile et aléatoire. Sur ces points, le rapport est muet ou peu explicite. Faute d’avoir envisagé ces questions, la création d’un cabinet d’avocat dans de telles conditions est-elle réellement source de sécurité pour les confrères intervenant dans ce contexte? Rien n’est certain loin s’en faut. Le rapport précise que ce mode d’exercice sera source d’une activité accrue pour les avocats sans pour autant que soit mesurée la proportion entre les risques encourus et le bénéfice escompté non quantifié. Dans ces conditions, les élus ABF du Conseil National des Barreaux ne voteront pas favorablement à la modification de l’article 15 du RIN autorisant l’ouverture d’un cabinet principal dans les locaux d’une entreprise. L’ouverture d’un cabinet secondaire en entreprise est-elle possible? Une partie des interrogations ci- dessus exprimées s’applique à l’ouverture d’un cabinet secondaire même si l’on conçoit bien que la situation de l’avocat qui exerce dans ces conditions sera moins fragilisée que dans l’hypothèse précédente et que la dépendance économique sera moins prégnante. En l’état des interrogations qui subsistent, les élus de l’ABF pensent qu’il n’est pas opportun d’envisager ce subsidiaire. Reste la dernière solution qui permet un exercice en entreprise dans des conditions sûrement proches du cabinet secondaire mais plus faciles à contrôler et aboutissant aux mêmes buts que ceux recherchés à savoir une présence physique plus régulière dans l’entreprise : le détachement. Celui-ci se pratique déjà de façon empirique et il faut entendre le souhait des Ordres d’un encadrement qui permettra de concilier le besoin de certains clients de la présence d’un avocat à leurs côtés et le respect des règles et valeurs auxquelles l’avocat est soumis. C’est cette voie que les élus de l’ABF privilégieront. Sources : www.abf-avocats.fr Photo : Catherine GAZZERI – 1ère Vice-présidente de l’ABF